ESSOUFFLEMENT (à la mémoire de Manu Dibango : 1933-2020)

Les COLPORTEURS de mauvaises nouvelles peuvent se féliciter d’avoir anticipé l’écroulement d’un GRAND monument. A force d’annoncer la pluie. le DELUGE est arrivé. Allez donc vous faire FOUTRE.

Ainsi commence mon hommage au doyen MANU DIBANGO, car on ne blague pas avec la vie des gens, surtout en période de maladie. Qui est éternel ?

Le vendredi 27 décembre 2019 en début d’après-midi, un géant s’est faufilé discrètement dans l’église de Villeneuve Saint-Georges pour dire adieu à l’un de ses fils spirituels. J’étais assis à l’opposé, mon fils était sur l’autel avec des vieux compères afro-américains pour rendre hommage au saxophoniste camerounais KING BLAISE que le doyen MANU a vu naître et grandir. Ce dernier venait à peine d’arriver du CAMEROUN. Malgré son âge (86 ans) et la fatigue du voyage, il a tenu à être présent.

A la fin du REQUIEM, nous étions tous attroupés devant l’église attendant le départ du corbillard. Le doyen MANU DIBANGO s’est approché vers nous pour nous saluer et féliciter mon fils. Un SOUFFLEUR ne peut resister au son d’un autre SOUFFLEUR. Mais personne n’avait encore réalisé qui était devant eux à cause de sa simplicité. “. C’est le légendaire MANU DIBANGO”. Tout le monde était émerveillé, car c’était à NOUS d’aller saluer le doyen. C’était l’occasion de lui demander son numéro de téléphone personnel afin d’aller l’interviewer dans le cadre d’un projet de film documentaire sur le jazz. Le doyen MANU DIBANGO semblait ne pas avoir de portable tout comme moi. Il a demandé à son fils biologique M. de me donner son contact. J’ai laissé passer un mois par pudeur avant de prendre rendez-vous avec le doyen. Mais le PROTOCOLE m’aura empêché de mettre en boîte l’IMMENSE bibliothèque musicale qu’était MANU DIBANGO.

Quelle était l’importance d’une telle interview ?

Hormis d’être un EXCELLENT saxophoniste, MANU DIBANGO maîtrisait d’autres instruments tels que le MARIMBA, le VIBRAPHONE et le PIANO. C’est lui qui a accompagné le très regretté bolériste congolais FRANKLIN BOUKAKA dans son mythique album “LE BUCHERON”. Il en était également l’arrangeur.

MANU DIBANGO était certainement la personne la mieux placée pour disserter sur la musique CONGOLAISE, lui le natif de DOUALA. Il a participé à l’enregistrement de l’hymne de l’indépendance de la R.D.C “INDEPENDANCE CHACHA” de JOSEPH KABASELE, autre légende musicale africaine.

Mais c’est au RONNIE SCOTT, mythique club de jazz londonien, que le doyen MANU DIBANGO m’a tué en interprétant “MORNING GLORY”, une balade très méconnue du maestro DUKE ELLINGTON en été 2001. Son repertoire musical était aussi large que son sourire. ELLINGTONIEN dans l’âme, il lui arrivait souvent de faire des citations de “THINGS AIN’T WHAT THEY USED TO BE” en jouant du Makossa.

Le bouquet final a peut-être eu lieu à l’UNESCO à la fin de l’APARTHEID lorsqu’il a rejoint le SOWETO STRING QUARTET sur scène pour interpréter “NKOSI SIKELELE AFRICA”. C’était l’EXTASE. Je vais essayer de m’en consoler.

On dit du CAMEROUN, son pays natal, que c’est l’AFRIQUE EN MINIATURE. Sans vouloir offenser mes congénères camerounais, je me permets de rectifier que c”est MANU DIBANGO qui incarnait réellement cette AFRIQUE EN MINIATURE.

Ancien directeur musical de l’orchestre de la RADIO TELEVISION NATIONALE IVOIRIENNE, compagnon du légendaire FELA ANIKULAPO KUTI à qui il a rendu un bel hommage dans “BIG BLOW”, de RAY LEMA, MORI KANTE, MIRIAM MAKEBA, HUGH MASEKELA, PAPA WEMBA….

Avant le CORONAVIRUS, les gens mourraient. La CAUSE et la RAISON importent peu. Seul le DESTIN peut expliquer la MORT.

Mon cher DOYEN, je ne sais plus souffler depuis longtemps. Ta MORT m’a essoufflé. En cette période de confinement justifié, je n’ai pas trouvé mieux que ces vers d’ALFRED DE MUSSET pour te dire adieu :

“…FONT D’UNE MORT RECENTE UNE VIEILLE NOUVELLE. DE QUELQUE NOM D’AILLEURS QUE LE REGRET S’APPELLE L’HOMME, PART TOUT PAYS, EN A BIEN VITE ASSEZ”.

Regrets éternels depuis mon lieu de confinement. RIP.